Siddy Jobe est titulaire d’un master en sciences économiques appliquées de l’université d’Anvers et d’un master en management financier de la Vlerick Business School. Passionné par l’innovation et les entreprises, il a également suivi un Executive Master in Venture Capital à la Berkeley Haas School of Business. Avant d'arriver chez Econopolis, il a dirigé pendant six ans le département Investor Relations & Treasury de l’entreprise de télécommunications Orange Belgium. Siddy a également occupé le poste d’analyste Telecom, Media & Technology à la Banque Degroof de 2005 à 2012. Il siège aussi au sein du comité consultatif de StartupVillage et The Beacon, un hub business et innovation anversois axé sur l’Internet des objets et l’intelligence artificielle dans l’industrie, la logistique et les villes intelligentes.
Corona Tech Update 09.05.2020
Véhicules autonomes: une technologie exponentielle pur jus
La thématique de la voiture autonome parle à notre imaginaire. Restée longtemps l'apanage des auteurs de science-fiction, la voiture sans pilote se rapproche petit à petit, grâce à la baisse du coût des capteurs haute performance (caméras et radars qui aident la voiture à percevoir son environnement), à la puissance de calcul considérablement accrue des ordinateurs (loi de Moore) et aux progrès de l'intelligence artificielle (IA).
Les travaux sont entamés à la fin des années 1980, plus précisément en 1986, avec le lancement du programme PROMETHEUS (PROgraMme for a European Traffic of Highest Efficiency and Unprecedented Safety) par le centre de recherche intergouvernemental EUREKA.
La question n'est plus de savoir "si" les véhicules autonomes se lanceront sur nos routes, mais "quand". Nous entrevoyons donc aussi des opportunités dans ce thème et nous y investissons par le biais de nos portefeuilles technologiques et de nos fonds d'investissement. Ces technologies exponentielles ont trait à la fois au matériel (processeurs graphiques, technologie des batteries, robotique, interfaces conducteur), aux logiciels (cybersécurité, intelligence artificielle, apprentissage machine, services de gestion du trafic) et aux capteurs (vision, radar, LiDAR et autres technologies de détection).
Coronavirus
Le coronavirus a dominé le premier trimestre 2020 et continuera à le faire au cours des prochains trimestres. Tout au long de cette période exceptionnelle, la résilience intrinsèque de la technologie, y compris des véhicules autonomes, sera une forte caractéristique. Comme il est de coutume dans les périodes anxiogènes et les zones de turbulences, les consommateurs et les entreprises, sont prêts à envisager un changement de paradigme. Nos vies ne seront plus les mêmes.
Le coronavirus a provoqué une revalorisation du banal et du quotidien en quelque chose de très précieux, à savoir le contact humain. En ces temps de "distanciation sociale" et de quarantaine, il apparaît clairement que les contacts humains sont précieux. D'une part, la population veut à tout prix éviter le contact avec des inconnus, de l'autre, les liens avec la famille et les amis se renforcent. Grâce au numérique, nous pouvons garder le contact pendant le confinement. Citons les nombreux appels en Facetime, WhatsApp et Skype pour la communication en tête à tête, ainsi que les plates-formes de communication en ligne pour les entreprises et les communautés, comme Zoom. Quand le confinement des villes et les quarantaines interdisent à la population de circuler librement, on va rapidement au-devant de situations conflictuelles. Les sociétés de messagerie tournent à plein régime. Un besoin de mobilité physique, efficace mais individuel, reste une nécessité. Il est donc fort possible qu'après cette crise, la question de la mobilité gagne encore du terrain, donnant un coup d'accélérateur à la voiture (semi-)autonome et aux nouvelles formes de mobilité.
Électrification
Tous les véhicules électriques ne sont pas nécessairement autonomes mais, à l'inverse, les voitures sans pilote sont plutôt électriques (ou hybrides), étant donné la présence de capteurs et d'ordinateurs énergivores. Nous supposons donc que la transition des véhicules au carburant fossile aux modèles électriques donnera des ailes aux voitures sans pilote. La réduction draconienne de notre empreinte CO2 est évidemment au cœur du processus d'électrification. En effet, dans l'Union européenne, les véhicules automobiles sont responsables d'environ 12 % des émissions totales de CO2, le principal gaz à effet de serre. Pour atteindre l'objectif fixé par l'UE, les constructeurs automobiles doivent écologiser leur parc automobile. Ce constat ne vaut pas seulement pour l'Europe. Dans le monde entier, les autorités compétentes (États-Unis, Chine, Inde, Japon, Brésil, Corée du Sud et Argentine) prônent aussi la réduction des émissions et/ou une diminution de la consommation de carburant. Les normes d'émission sont donc toujours plus strictes. À titre d'exemple, les constructeurs européens sont censés atteindre l'objectif d'émission de CO2 de 95 g/km à l'horizon 2021. D'ici 2025 et 2030, les émissions devront encore baisser respectivement de 15 et 37,5% par rapport aux niveaux de 2021. Heureusement, ces mêmes constructeurs ont à cœur d'écologiser leurs modèles et s'emploient à électrifier leur parc. Nous nous attendons donc à une amélioration exponentielle significative de la technologie des batteries dans les années à venir. Elles gagneront en performance énergétique, seront plus abordables, plus rapides à recharger et exemptes de cobalt. Les constructeurs automobiles profiteront de cette transition pour convertir leurs voitures au tout-numérique et à l'autonomie.
Demain, le covoiturage et moins d'accidents
Toutefois, la généralisation des véhicules autonomes n'est pas pour tout de suite. La percée du covoiturage et de la voiture partagée est déjà un pas important vers une mobilité plus autonome, les services de covoiturage, en particulier, présentant un puissant incitant économique en faveur d'une adoption accélérée de la voiture sans pilote. En effet, ils doivent obligatoirement faire appel à un conducteur, qui représente désormais l'un des principaux coûts opérationnels pour ces opérateurs. De plus, les charges d'assurance pourraient également diminuer s'il est vrai que les véhicules sans pilote provoquent moins d'accidents que les humains. La pratique du covoiturage et les véhicules partagés peuvent aussi réduire le kilométrage parcouru, et, par ricochet, les émissions de CO2, puisque plusieurs personnes partagent un véhicule pour se rendre à leur destination. En bref, les véhicules autonomes ont le pouvoir de remédier à bon nombre de ces problèmes en organisant mieux la circulation et en réduisant le risque d'erreur humaine (et la mortalité routière).
Rôle capital des technologies exponentielles
Il ne fait aucun doute que les technologies exponentielles joueront un rôle crucial à cet égard. Ces dernières années, le rêve des véhicules autonomes a pris forme grâce à la conjonction de plusieurs technologies qui ont réalisé des progrès exponentiels. Outre l'amélioration constante des technologies des batteries, les technologies exponentielles de demain seront également au centre de ce thème: capteurs, IA, apprentissage machine, 5G, puissance de calcul et informatique dans le cloud.
Quand le marché sera-t-il prêt?
Sur la base de l'expérience acquise avec les innovations technologiques précédentes (appareils photo numériques, smartphones et PC), les optimistes donnent douze mois aux véhicules autonomes pour devenir suffisamment fiables et abordables et remplacer les voitures conduites par l'humain. Nous pensons que la prudence est de mise face à de telles affirmations. En effet, il faut encore résoudre de nombreux problèmes techniques avant que la voiture sans pilote puisse rouler en toute sécurité dans un trafic normal. Il faudra des années d'essais. Son adoption par le législateur sera obligatoire et ces véhicules devront aussi être abordables et attrayants pour les consommateurs.
Un rapport de Morningstar explique que les véhicules autonomes ont encore de beaux jours devant eux, même dans la période de récession où nous nous trouvons plus que probablement aujourd'hui. L'intelligence est florissante dans les secteurs de la technologie et de l'automobile. Le développement des véhicules autonomes va donc se poursuivre. Pour les dix prochaines années, Morningstar table sur une autonomie dite de "Level 4", c'est-à-dire où les voitures rouleront sans volant ni pédale dans une zone géographiquement délimitée, très probablement dans les centres-villes densément peuplés. Ce sont surtout des entreprises comme Uber et Lyft qui auraient recours à de tels véhicules. Les constructeurs automobiles seront probablement réticents à voir les particuliers se ruer sur les véhicules autonomes, principalement en raison de la responsabilité juridique. Mais ils devront s'adapter, au risque que la Silicon Valley se taille la part du lion. C'est un marché important. Quand on sait que rien qu'aux États-Unis, il se vend quelque 17 millions de voitures chaque année à un prix moyen de 34 000 dollars par véhicule, on se retrouve avec un marché de 600 milliards de dollars. À l'horizon 2030, il pourrait atteindre 1,3 trillion de dollars.
Implications en matière d'investissement
L'avènement des véhicules autonomes n'en est qu'à ses balbutiements et, sur le plan des investissements aussi, il promet d'être une course folle. En effet, les gagnants sont encore inconnus. Reste à voir comment la détention de véhicules par les particuliers va évoluer et quel impact cette donnée aura sur les ventes de voitures. Des rapports spécialisés s'accordent à dire que cette détention va diminuer au cours des dix prochaines années dans les grandes villes. Les constructeurs automobiles devront donc plancher sur des services de mobilité afin d'explorer de nouvelles sources de revenus pour compenser cette perte du chiffre d'affaires. Nous pensons par exemple à Cruise ou Maven, les services de voitures partagées de General Motors. Le véhicule autonome n'est pas un feu de paille. Les constructeurs automobiles ont mis le pied à l'étrier, la Silicon Valley est dans la course, et les régulateurs aussi sont sous le charme.
Des géants technologiques de premier plan comme Nvidia et Intel, ainsi que des éditeurs de logiciels et des acteurs de l'internet comme Google (Waymo) et de nouvelles start-up du secteur de la mobilité comme Aurora, Cruise et Uber récolteront également les fruits d'une toute nouvelle ère de la mobilité à l'avenir. Contrairement aux acteurs établis de l'industrie automobile moderne, ils n'ont pas d'intérêts particuliers à défendre, tels des engagements de retraite ou autres. Ces acteurs plus durables, au modèle "asset light" (allégés en actifs), ont les coudées franches. Nous avons vu que les Bourses attribuent généralement une valorisation plus élevée à ces entreprises, à condition, bien sûr, que leur modèle d'entreprise soit viable. Econopolis continue à suivre de près ces tendances passionnantes et tente d'identifier le plus tôt possible les gagnants dans ce créneau.
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