Skip to the content

La crise ukrainienne donne un coup de pouce supplémentaire à l’inflation

Nous avions prédit que les tensions géopolitiques reprendraient le dessus de l’actualité dès que la pandémie disparaitrait un peu à l’arrière-plan. En revanche, le fait que les protagonistes soient la Russie et l’Ukraine, et non pas la Chine et les États-Unis, a bel et bien été une surprise. Le président russe Poutine a envahi l’Ukraine le 24 février, après un prélude de renforcement des troupes et de démentis du Kremlin, marquant ainsi le début d’une catastrophe humanitaire à la frontière de l’Europe et du territoire de l’OTAN. En outre, les vulnérabilités de l’économie européenne et mondiale sont également ressenties avec plus d’acuité que jamais. Dans cette rubrique, nous répondons à quelques-unes des questions fréquemment posées sur l’inflation, la croissance et la politique de taux d’intérêt des banques centrales.

 

La guerre entraînera-t-elle le maintien d’une inflation élevée ?

En tant que principaux fournisseurs de produits industriels et de matières premières dures (pétrole, gaz, métaux) et douces (orge, blé, maïs), la Russie et l’Ukraine revêtent une grande importance stratégique, en particulier pour l’Europe. La guerre a entraîné une augmentation explosive des prix de toutes sortes de matières premières nécessaires aux processus de production modernes et à l’approvisionnement alimentaire mondial. Ca ne fait qu’ajouter de l’huile sur le feu envers les craintes d’inflation.

En Allemagne, les fabricants ont vu leur facture augmenter de près de 26 % en février 2022 par rapport à l’année précédente. Une augmentation qui ne reflète même pas encore les hausses de prix causées par la guerre en Ukraine. Même si l’on exclut l’énorme augmentation des prix de l’énergie (+68 %) de l’année dernière, les prix des produits allemands ont augmenté de 12,4 % par rapport à l’année précédente.

Les marchés financiers comptent déjà sur le fait que cette inflation ne s’estompera pas rapidement. Ils s’attendent à ce que l’inflation européenne reste nettement supérieure à l’objectif de 2 % de la BCE dans les années à venir. Pour les 12 prochains mois, les marchés s’attendent à ce que le niveau général des prix en Europe augmente de plus de 5 %, pour les deux prochaines années d’environ 4 %, et pour les cinq prochaines années encore de plus de 2 %. Les effets de second ordre, notamment l’inflation des salaires, garantissent que les hausses de prix sont largement soutenues dans l’économie. Selon nous, ces estimations sont loin d’être excessives et elles changent fondamentalement le paysage de l’investissement.

Bien entendu, la forte hausse des coûts de l’énergie n’est pas seulement un problème pour les entreprises. Les familles en accusent aussi les effets dans leurs porte-monnaie. Comme elles doivent consacrer une part plus importante de leurs revenus disponibles à l’énergie, elles disposent de moins de fonds pour consommer d’autres biens et services. Leur confiance est également érodée.. En mars, la confiance des consommateurs européens s’est effondrée pour atteindre les niveaux de la période de confinement strict il y a deux ans. L’incertitude concernant la guerre et les fortes hausses de prix pèsent clairement sur le sentiment des consommateurs européens.

Le conflit débouchera-t-il sur une récession ?

L’issue politique incertaine du conflit en Ukraine, le pessimisme des consommateurs et les taux d’inflation élevés contrarient les prévisions de croissance économique mondiale. À cela s’ajoutent les fortes sanctions économiques contre la Russie, qui vont également avoir un impact sur l’Occident. L’Europe, en particulier, en ressentira les conséquences. La force motrice de l’ère post-Covid sera beaucoup moins importante que prévu. Les États-Unis sont beaucoup moins dépendants des produits énergétiques et céréaliers russes et ukrainiens. L’impact sur leur économie sera donc beaucoup plus faible.

Le terme « stagflation » apparaît de temps à autre dans les médias. L’inflation est une certitude, mais la croissance reste positive pour l’instant. Les chiffres de l’emploi sont exceptionnellement bons, ce qui devrait soutenir la demande. Le taux de chômage européen est aujourd’hui inférieur à son niveau avant la pandémie. La guerre des talents se poursuit irrévocablement. Dans le même temps, l’exceptionnelle pénurie sur le marché du travail pousse les salaires à la hausse, sous l’effet de l’inflation. Les consommateurs ressentiront ces hausses de prix et consommeront moins, tandis que les investissements des entreprises et des gouvernements resteront forts ou seront même en augmentation. On s’attend à ce que la crise réduise la croissance d’un point de pourcentage complet, ce qui signifie que l’économie ne progressera qu’à raison de 2 % environ cette année et l’année prochaine.

Les banques centrales agiront-elles plus fermement ?

Pour les banquiers centraux, le marché du travail particulièrement tendu et les taux d’inflation astronomiques indiquent clairement qu’ils doivent resserrer leur politique monétaire.

La Banque centrale américaine (Réserve fédérale) a relevé ses taux d’intérêt en mars de 0,25 % pour la première fois depuis 2018, laissant entrevoir six nouvelles hausses de taux en 2022. La Réserve fédérale a même averti qu’elle pourrait appliquer un bond de 0,50 % si l’inflation reste si élevée.

La Banque centrale européenne avait choisi la voie de la normalisation de sa politique monétaire dans les prochains mois, mais l’incertitude économique causée par la guerre vient entraver cet objectif. En effet, d’une part, les hausses de taux d’intérêt peuvent freiner la demande dans l’économie, mais d’autre part, elles ne résoudront pas les problèmes logistiques découlant des tensions géopolitiques. Indépendamment du taux d’intérêt, le conflit aura notamment pour effet de faire grimper encore davantage les prix de l’énergie. Le soutien économique européen à un ajustement de la politique monétaire semble donc particulièrement fragile.

Jeroen Kerstens