Gino Delaere is master in Applied Economics (University of Antwerp) and holds an MBA (Xavier Institute of Management in Bhubaneswar, India). For over a decade he has been specializing in emerging markets worldwide and traveling the world looking for interesting investment opportunities. Previously he worked for several large asset managers where he was actively involved in several thematically inspired equity funds. Today, as the head of the Econopolis office in Singapore, he spends a significant amount of his time in Asia and Latin America, and is responsible for the stock selection in the emerging markets funds.
Grand retournement de situation en Chine
En bref :
- Xi Jinping consolide son pouvoir
- La politique stricte Zéro Covid fait marche arrière
- La reprise sera lente
- La Chine aspire à nouveau à des taux de croissance élevés en 2023
La prise de pouvoir de Xi Jinping
Le 20e Congrès national du Parti communiste chinois, en octobre 2022, était très attendu. Le monde allait y découvrir les projets du gouvernement chinois pour les cinq prochaines années, ou mieux, comment le gouvernement allait ajuster sa stratégie à long terme dans la période à venir. Gouverner à partir d’une vision à long terme... l’Occident peut en tirer des leçons. Et inversement, bien sûr, la Chine peut beaucoup apprendre de l’Occident, notamment dans le domaine des droits de l’homme.
L’image du Congrès du Parti communiste est sans aucun doute le moment où l’ancien dirigeant Hu Jintao a été gentiment conduit hors de la salle lors de la cérémonie de clôture. Un signal sans équivoque de Xi Jinping : il ne tolère aucune opposition interne. Il s’assigne un nouveau règne de cinq ans, et s’entoure désormais de confidents, tous des hommes.
Cela en fait sourciller plus d’un : un dirigeant tout-puissant est rarement une bonne chose pour un pays à long terme. Vladimir Poutine en est la preuve la plus récente. La consolidation du pouvoir de Xi Jinping est également un sujet de préoccupation, mais nous ne pensons pas que sa prise de pouvoir va nuire à l’économie à court terme. Après tout, le dirigeant s’engage à créer une stabilité sociale en Chine, car c’est le meilleur moyen de justifier l’utilité du Parti communiste. Xi Jinping ne pourra atteindre cette stabilité que s’il parvient suffisamment à remettre le moteur économique en marche et si les Chinois dans la rue retrouvent une plus grande liberté, après deux années d’une politique Zéro Covid extrêmement sévère. Nous attendons donc différentes initiatives du gouvernement chinois pour soutenir l’économie.
La question de Taïwan est un autre sujet brûlant. Du côté chinois, il ne fait aucun doute qu’une réunification entre Taïwan et la Chine aura lieu. La Chine a suivi de près l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et cela peut certainement inspirer Xi Jinping. Nous pensons que cela n’ira pas jusque-là, même si le discours de Xi Jinping était empreint de belligérance et de patriotisme. L’allocution s’adresse principalement aux Chinois eux-mêmes, qui aiment entendre des paroles d’encouragement après une période difficile. Le fait que cela renforce l’image de l’ennemi envers les États-Unis est accueilli favorablement. Lors du sommet du G2O à Bali, la Chine a clairement indiqué que Taïwan n’était pas actuellement une question prioritaire dans son agenda. Les urgences sont ailleurs et, en outre, ils voient plus de bénéfices dans une petite offensive de charme envers certains pays. Dans le contexte de la montée des tensions avec les États-Unis, la Chine prend conscience de la nécessité de consolider, voire de raviver ses liens étroits avec d’autres régions et nations. Le processus de la mondialisation avec la Chine comme usine du monde touche à sa fin et la Chine cherche de nouvelles voies. Dans les années à venir, nous allons encore beaucoup en entendre parler.
Virage à 180 degrés pour la politique chinoise en matière de Covid
Le trimestre dernier, nous avions écrit ici : « L’heure la plus sombre est juste avant le lever du soleil ». Mais nous avons également été surpris de la rapidité avec laquelle nous avons pu observer les premiers rayons de soleil.
À la surprise générale, les protestations qui prenaient de plus en plus d’ampleur en novembre pour contester les confinements sévères et sans perspective de fin ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd. Le gouvernement a changé son fusil d’épaule et la tactique a été révisée en profondeur : la Chine est confrontée à un variant beaucoup moins virulent du virus et nous pouvons assouplir les restrictions. Toute une série de mesures ont été annoncées immédiatement afin de modérer les restrictions de mobilité. Cela a été un renversement complet de la politique de lutte contre la Covid. Les implications étaient énormes et marquaient la fin des confinements stricts, la fin des millions de tests obligatoires chaque jour, la fin des quarantaines qui pouvaient parfois durer plusieurs mois, la fin des contrôles de traçabilité via les codes QR. L’économie a été rouverte et cela est irréversible. Désormais, l’accent est mis sur la croissance économique, l’emploi et la stabilisation des prix. Le virage n’aurait pas pu être plus radical.
Cette situation est assez déroutante, tant pour les autorités régionales que pour les Chinois ordinaires dans la rue. Le fait que le gouvernement écoute les revendications du peuple est nouveau pour eux. Mais aussi le fait que le changement soit si radical. Cela n’est pas apprécié par tout le monde. Pendant deux ans, la propagande chinoise a présenté le coronavirus comme un terrible fléau. Rien ne pouvait être fait et rien n’était permis. Et soudain, tout est différent et toutes les mesures sont abandonnées. Ces assouplissements déplaisent à de nombreux Chinois.
Entre-temps, le virus se propage avec une rapidité fulgurante dans tout le pays. Les personnes s’isolent volontairement pour éviter de contaminer les membres de leur famille. Cela ralentit l’activité économique, tout comme les confinements, même si c’est plus temporaire. Il y a une réduction des achats, mais la production diminue également à nouveau dans certains secteurs en raison du manque de main-d’œuvre. En outre, le pays n’est absolument pas préparé sur le plan médical : la couverture vaccinale des Chinois est encore bien trop faible (on estime que plus de 8 millions de personnes âgées de plus de 80 ans n’ont pas encore été vaccinées), l’efficacité des vaccins chinois est douteuse et les fournitures médicales dans les hôpitaux laissent à désirer. Cela représente une pression énorme pour le système de santé. Une période difficile s’annonce certainement pour les personnes âgées. Les longues listes d’attente dans les salons funéraires de certaines villes constituent un signe morbide : une grande tragédie humaine est en passe de se produire.
Il y a aussi un aspect positif dans cette histoire. La réouverture accélérera la normalisation de la situation économique au cours de l’année 2023. Nous nous attendons à ce que l’économie décolle vraiment après le Nouvel An chinois. Cela se produira vraisemblablement de manière progressive, mais il y a enfin des progrès, ce qui est un énorme soulagement. Pour la Chine en premier lieu, mais aussi pour la région et le reste du monde. En effet, une croissance économique plus forte en Chine en 2023 pourrait contrebalancer la récession à venir en Occident. La réouverture de la Chine pourrait bien devenir l’événement macroéconomique mondial le plus important de 2023.
Les marchés financiers ont déjà réagi avec enthousiasme à la stratégie de réou- verture. Depuis début novembre, nous assistons à un « relief rally » assez spec- taculaire. Cela n’est pas étonnant, car le sentiment était extrêmement pessimiste ces derniers temps. Ce pessimisme a maintenant fait place à l’espoir.
En quête de nouveaux moteurs de croissance
L’un des points les plus épineux de la croissance chinoise est le secteur immobilier. Au cours des dernières décennies, l’immobilier a joué un rôle crucial dans l’économie chinoise, mais il est menacé par une mauvaise gouvernance, une dette exorbitante et des faillites imminentes. Si les choses tournent mal, l’impact se propagera telle une gigantesque marée noire. Le gouvernement chinois a récemment annoncé un certain nombre de mesures visant à lutter contre les problèmes les plus aigus. Malheureusement, ces mesures ne sont pas suffisantes pour le moment. Les derniers chiffres des nouveaux projets de construction, des ventes de biens immobiliers et des ventes de terrains sont toujours très faibles. Nous pensons que cela incitera le gouvernement à lancer de nouvelles mesures de soutien sélectif dans la période à venir pour stabiliser le secteur.
La crise immobilière entraîne également un changement d’orientation stratégique. Le gouvernement chinois est de plus en plus conscient du fait que la domination du secteur immobilier rend l’économie vulnérable. Pour rendre cette économie plus robuste, il cherchera d’autres moteurs de croissance. L’accent est mis sur tous les secteurs qui aideront la Chine à devenir autosuffisante afin de ne plus dépendre des pays étrangers. L’énergie et l’alimentation figurent en bonne place sur la liste des priorités, mais aussi la technologie, étant donné que les États-Unis rendent de plus en plus difficile l’accès de la Chine à ses puces de haute technologie.
Ce choix stratégique de l’autonomie n’est pas nouveau pour la Chine. Au cours de ces dernières décennies, le gouvernement a déployé beaucoup d’efforts dans certains sous-secteurs de la transition écologique. La Chine n’est que trop consciente du fait que le changement climatique crée également de nombreuses opportunités d’investissement extraordinaires en plus de ses énormes défis. Pendant la crise financière de 2008-2009, le gouvernement chinois investissait déjà massivement dans l’écologisation, par exemple dans la chaîne de valeur des batteries et des voitures électriques. C’était en partie par nécessité - la pollution entraînait des situations invivables dans certaines régions de Chine - mais aussi avec la conviction que cette écologisation deviendrait le secteur de croissance par excellence des prochaines décennies.
Les effets se font déjà sentir aujourd’hui. La Chine a parfois été désignée comme l’Arabie saoudite des terres rares, mais cela va bien au-delà. Selon l’Agence internationale de l’énergie, 80 % de toutes les étapes de la production de panneaux solaires sont dominées par la Chine. Pour les parties cruciales des panneaux, comme le silicium, matière première, et les plaquettes nécessaires à la fabrication des cellules solaires, ce pourcentage atteint même 95 %. La Chine investit également massivement dans l’énergie éolienne et les voitures électriques. Bientôt, vous verrez de plus en plus de voitures de marques chinoises circuler dans les rues en Occident.
Perspectives pour 2023
L’année 2022 a été une année difficile, même pour les marchés émergents, car des vents contraires sont venus de partout : la politique Zéro Covid de la Chine, les hausses agressives des taux d’intérêt aux États-Unis, le dollar fort, la guerre en Ukraine. Toutefois, la tempête semble se calmer et l’année 2023 pourrait bien profiter de vents plus favorables.
La réouverture de la Chine donnera sans aucun doute un coup de pouce significatif à l’économie, à condition que le virus soit maîtrisé. C’est une bonne nouvelle pour le monde entier. Les États-Unis et l’Europe, où la récession guette, pourraient bien profiter d’une forte demande étrangère.
Sur le front des taux d’intérêt, le pire semble également être derrière nous. Une Réserve fédérale moins sévère rétablira le calme sur les marchés des taux d’intérêt et des devises, ce qui profitera relativement davantage aux pays émergents.
Le timing est primordial, bien sûr. Il n’est pas exclu que les marchés financiers des pays émergents soient encore en difficulté dans les premiers mois de 2023. La récession en Occident pourrait être plus profonde qu’on ne le pense et la réouverture de la Chine pourrait être mouvementée. Mais nous pouvons néanmoins espérer que l’économie chinoise se redresse tôt ou tard. Si cela coïncide avec le « pivot » (revirement) de la Réserve fédérale dont on parle tant, cela donnera de l’oxygène aux marchés boursiers des pays émergents, du moins au second semestre de l’année.