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L’Europe à la recherche de son autonomie stratégique

» Trump opère une rupture quasi totale : les États-Unis s’éloignent de l’Europe, ce qui suscite une incertitude économique et géopolitique
» L’Europe se réveille : sous l’impulsion de l’Allemagne et de la France, l’UE mise sur les investissements et l’autonomie stratégique

L’Europe sur la trajectoire de l’ouragan Donald : menace ou avancée ?

Une chronique économique sur l’économie européenne ? Il n’est déjà pas simple pour nous d’y voir un motif de satisfaction, mais convaincre nos clients de rester optimistes tient du défi. En effet, ces dernières années, des nuages sombres ont obscurci le ciel de notre continent et les nouvelles négatives se sont succédé sans répit. Les turbulences économiques se sont enchaînées les unes après les autres, mettant à rude épreuve l’économie européenne. Au cours des derniers mois de 2024, une nouvelle tempête, déjà bien connue, a éclaté : Donald. Le code orange a été décrété et les décideurs politiques européens se sont préparés à encaisser les fortes rafales venues de l’autre côté de l’Atlantique. Et pourtant, paradoxalement, ces derniers mois, les nouvelles économiques les plus favorables sont venues d’Europe, et non des États-Unis. Les mesures et les plans mis en œuvre pour faire face à l’ouragan Donald pourraient bien avoir ouvert la voie à une relance de l’économie européenne.

L’économie européenne en difficulté : stagnation sans récession

Depuis la fin de l’été 2022 – il y a maintenant plus de deux ans – l’économie européenne est enlisée dans une phase de quasi-stagnation. Bien que le choc inflationniste et la guerre en Ukraine aient fortement pesé sur les investissements des entreprises européennes et sur le pouvoir d’achat des ménages, une récession a été évitée de justesse. En 2024, l’économie dans la zone euro a progressé de 0,9 % (après inflation), tandis que l’économie belge a enregistré une croissance de 1,1 % en termes réels. Cela n’a toutefois pas été le cas dans tous les pays ni tous les secteurs de l’Union Européenne. Alors que l’économie industrielle est en déclin depuis plusieurs années, l’économie allemande a connu deux années consécutives de croissance négative. Le recul de la compétitivité, en particulier dans les industries à forte intensité énergétique, pèse sur les plans de croissance et d’investissement des entreprises. Les prix de l’énergie et les coûts de la main-d’œuvre relativement élevés rendent l’Europe moins attrayante pour la production industrielle. Cependant, la croissance des pays de l’Europe du Sud et du secteur des services a permis à l’économie d’échapper à la récession. L’économie polonaise, par exemple, a de nouveau été un autre moteur de croissance important.

La Belgique et la zone euro sont confrontées à une stagnation économique

Toutefois, un catalyseur est nécessaire pour amener l’économie européenne sur une nouvelle voie de croissance. Le rapport sur la compétitivité de l’ancien président de la BCE, Mario Draghi, avait déjà tiré la sonnette d’alarme l’année dernière, mais il avait aussi enfoncé de nombreuses portes. La déréglementation constituait le fil conducteur du rapport. Au début de son deuxième mandat en tant que présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a présenté à Anvers le « Pacte européen pour une industrie propre » (European Clean Industrial Deal). Ce plan est axé sur la circularité et met l’accent sur les matières premières critiques et l’énergie abordable pour l’industrie, les entreprises et les ménages dans l’UE. Il ne s’agit pas seulement de s’attaquer aux prix relatifs de l’énergie par rapport à d’autres régions, mais aussi de réduire la dépendance stratégique vis-à-vis des importations d’énergie.

Les importations d’énergie font plonger la balance commerciale européenne dans le rouge

Guerre commerciale de Trump et incertitude économique : l’impact sur l’Europe et la BCE

Dans cette guerre tarifaire, le président américain Trump cible également son principal partenaire commercial : l’UE. Malgré la forte augmentation des importations de pétrole et de gaz américains depuis les sanctions contre la Russie, l’excédent commercial européen avec les États-Unis atteint un niveau record. Les voitures et les produits pharmaceutiques sont exportés massivement vers les États-Unis. En prévision des éventuels droits de douane à l’importation, les entreprises européennes ont intensifié leurs exportations vers les États-Unis ces derniers mois, constituant ainsi des stocks. Pendant ce temps, le ralentissement tant attendu de la croissance américaine semble marquer le début du deuxième mandat du président Trump. Une économie qui tournait à plein régime est ralentie par le programme radical du président et l’environnement incertain pour les consommateurs et les entreprises. Les attentes des consommateurs américains en matière d’inflation pour les douze prochains mois ont grimpé de 5,2 % à 6 % en février, tandis que leur confiance dans le climat des affaires a fortement diminué. L’électeur américain, dont la perte de pouvoir d’achat de ces dernières années a été un facteur majeur dans le choix de Trump, commence tout de même à s’inquiéter à présent. Le déclin rapide de Trump dans les sondages de popularité le confirme.

En outre, bon nombre des pays visés, y compris l’UE, ont réagi en adoptant des contre-mesures (ciblées). Toutefois, ces contre-mesures pourraient également affecter les consommateurs européens eux-mêmes. En l’absence d’une escalade de la guerre commerciale avec les États-Unis, l’inflation européenne devrait fluctuer autour de l’objectif de 2 % après l’été. Cela ne signifie pas pour autant que les hausses de prix vont disparaître pour les consommateurs. L’épargne doit être mise à contribution pour éviter une perte du pouvoir d’achat. La consommation des ménages européens est restée relativement stable au cours de la période écoulée et a été soutenue par une croissance des salaires toujours plus élevée. Le taux de chômage se maintient à un niveau historiquement bas, à 6,2 %. Toutefois, on observe des signes d’affaiblissement sur le marché du travail, tels que la baisse du nombre de postes vacants et des recrutements. Cette situation, combinée à la diminution de la rentabilité des entreprises, va probablement freiner la croissance des salaires.

La baisse des marges bénéficiaires freine la croissance des salaires dans la zone euro

Pour la BCE, il s’agit là d’un signal supplémentaire pour adopter une politique moins restrictive. Pour relancer l’économie européenne, la Banque centrale a réduit les taux d’intérêt de 4 % à 2,5 % depuis l’été dernier. La BCE espère ainsi encourager la consommation et l’investissement, ce qui pourrait donner à l’économie l’élan dont elle a tant besoin.

Par ailleurs, nous avons constaté de petits signes d’amélioration dans les données économiques publiées en Europe au premier trimestre. La production industrielle dans la zone euro a progressé de 0,8 %, soit un taux annualisé de près de 10 %. En outre, la confiance des entreprises européennes a augmenté dans le secteur industriel, notamment grâce à une hausse des nouvelles commandes. Une évolution positive, même si l’industrie européenne produit toujours 5 % de moins en volume qu’il y a deux ans. Les ventes au détail en Europe ont augmenté de 1,9 % en volume en 2024, malgré la poursuite de la hausse des prix. La confiance des consommateurs européens s’est également remarquablement rétablie au cours des premiers mois de l’année. L’hiver cède donc sa place à un printemps revigorant.

L’Europe à la croisée des chemins : investissements, pressions géopolitiques et quête d’autonomie stratégique

Les élections allemandes de février ont provoqué un véritable bouleversement au sein de l’économie allemande (et européenne). Un gigantesque plan d’investissement de 500 milliards d’euros dans la défense et les infrastructures pour la prochaine décennie, combiné à un assouplissement de la discipline budgétaire pour les investissements dans la défense, a propulsé à la hausse les anticipations en matière de croissance et d’inflation. Cependant, tous les gouvernements européens ne disposent pas d’une marge de manœuvre budgétaire suffisante pour soutenir cette relance de la croissance. L’ensemble de l’économie européenne pourra toutefois profiter des retombées de ce plan de relance. Dans le même temps, les prévisions ajustées de croissance et d’inflation résultant de ces plans d’investissement ont entraîné une augmentation significative des coûts de financement pour les ménages, les entreprises et les gouvernements européens en raison de la hausse des taux d’intérêt à long terme.

L’Europe avait atteint un moment critique. Le choix entre plus ou moins d’Europe s’imposait. Lors des nombreuses élections qui ont eu lieu l’année dernière, les mouvements nationalistes ont progressé à grands pas et la polarisation a rarement été aussi forte. Ironiquement, la réélection de Trump, qui bouscule les institutions établies et ne considère plus l’UE comme un allié, semble rapprocher les pays européens.

Le moment est venu de prouver que le Vieux Continent est loin d’être une gloire du passé.

Toutefois, cette union reste particulièrement fragile. Si agir d’une seule voix constitue déjà un défi, l’adoption d’une politique uniforme semble hors de portée.

Ces dernières années, l’Union européenne a été confrontée à une succession d’événements qui ont douloureusement révélé sa grande dépendance. L’ouverture de l’économie européenne, qui a longtemps été un atout absolu dans un monde globalisé, est de plus en plus attaquée. Les mesures de lutte contre le coronavirus, par exemple, ont mis en évidence la vulnérabilité de nos chaînes de production mondialisées, tandis qu’une guerre aux confins de l’UE a révélé impitoyablement notre dépendance énergétique. Ces deux facteurs ont entraîné le plus grand choc inflationniste depuis plus de 40 ans, un phénomène qui était quasiment tombé dans l’oubli sur le Vieux Continent.

Avec la réélection de Trump, notre allié le plus fidèle semble désormais prendre ses distances, ce qui signifie que l’Europe devra de plus en plus prendre en main sa propre destinée dans des domaines stratégiques tels que l’énergie, l’industrie et la défense. Dans leur naïveté, les décideurs politiques européens ont considéré l’économie mondiale ouverte comme un acquis, tandis que d’autres régions surpassaient de plus en plus souvent l’Europe en termes de connaissances et de compétences.

Pendant longtemps, le sentiment d’urgence a manqué pour lancer les réformes nécessaires. Maintenant que l’urgence et le soutien correspondant sont enfin là, une opportunité unique se présente pour renforcer stratégiquement l’économie européenne. Le moment est venu de prouver que le Vieux Continent est loin d’être une gloire du passé. Nous pensons qu’il y a des raisons d’être optimistes.

Jeroen Kerstens

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